
Avec l’essor des cryptomonnaies, de plus en plus d’entreprises intègrent ces actifs numériques à leur trésorerie, que ce soit pour diversifier leurs placements, réduire leur exposition aux monnaies fiduciaires ou encore proposer des solutions de paiement innovantes. En 2023, une étude de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) révélait que plus de 3 000 entreprises françaises détenaient des actifs numériques, bien que peu d’entre elles aient mis en place une politique de gestion adaptée en cas de crise. Cette absence de cadre clair complique le travail des administrateurs judiciaires lorsque ces entreprises se retrouvent en difficulté financière. En effet, comment ces actifs peuvent-ils être saisis, évalués et intégrés dans une procédure collective, qu’il s’agisse d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire ? Quels leviers les administrateurs judiciaires peuvent-ils actionner pour sécuriser et valoriser ces biens atypiques ?
Le cadre juridique des cryptomonnaies en France et en Europe dans les procédures collectives
Les cryptomonnaies ne bénéficient pas du même statut juridique que les monnaies traditionnelles. En France, elles sont qualifiées d’actifs numériques selon l’Article L54-10-1 du Code monétaire et financier. Cette classification a des conséquences importantes sur leur traitement en cas de difficultés financières, notamment en matière de saisie et de liquidation.
Le règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation) vient renforcer cette définition en instaurant un cadre harmonisé pour les transactions en cryptomonnaies, ce qui facilitera à terme leur prise en compte par les administrateurs judiciaires. L’Union européenne vise ainsi à encadrer un marché en pleine expansion, dont l’adoption a augmenté de 58 % en trois ans, selon une étude de Chainalysis publiée en 2024.
Cryptomonnaies et procédures collectives : une problématique transversale
Lorsqu’une entreprise qui possède des actifs numériques est placée en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, la question de l’identification et de l’évaluation des actifs numériques est centrale. Cette phase peut être complexe, car les cryptomonnaies sont stockées sous forme d’adresses publiques associées à des clés privées. Si ces clés privées ne sont pas accessibles, il est tout simplement impossible de récupérer les fonds.
L’administrateur judiciaire doit alors travailler avec l’entreprise et ses responsables financiers pour recenser les portefeuilles numériques (wallets) et déterminer la valeur des actifs. Cette évaluation est rendue difficile par la volatilité des cryptomonnaies. En 2022, le marché des cryptos a connu une baisse spectaculaire, perdant plus de 2 000 milliards de dollars, illustrant les risques majeurs liés à ces actifs.
Une fois les actifs identifiés, plusieurs options s’offrent à l’administrateur judiciaire. Dans certains cas, conserver ces actifs et attendre un contexte de marché plus favorable peut permettre de maximiser leur valeur. Dans d’autres, une conversion immédiate en monnaie fiduciaire est préférable pour garantir un remboursement plus stable des créanciers.
Les difficultés de gestion et de liquidation des cryptomonnaies
Le principal défi dans la gestion des cryptomonnaies lors d’un redressement judiciaire réside dans la sécurisation des fonds. Contrairement aux actifs traditionnels détenus en banque, les cryptomonnaies sont stockées de manière décentralisée, parfois sur des plateformes à l’étranger, ou même en cold storage (hors ligne). Si une entreprise n’a pas bien documenté ses actifs numériques, leur accès peut devenir un véritable casse-tête juridique.
Un autre enjeu majeur est la liquidation des actifs numériques. En cas de vente, il est essentiel de choisir une plateforme dédiée et fiable. Les administrateurs judiciaires doivent veiller à réaliser ces transactions dans les meilleures conditions pour éviter une dépréciation massive du portefeuille. Avec des fluctuations pouvant atteindre 30 % en une seule journée, une mauvaise gestion des ventes peut fortement impacter les fonds récupérés pour les créanciers.
Par ailleurs, si aucun plan de redressement n’est envisageable, la vente de l’entreprise peut inclure les cryptomonnaies dans la transaction. Le repreneur devra alors prendre en compte ces actifs et leur valeur marchande au moment du rachat.
Cryptomonnaies : perspectives et recommandations
Avec l’adoption progressive du règlement MiCA, le cadre réglementaire des cryptomonnaies devient plus clair et mieux intégré aux dispositifs financiers traditionnels. Cependant la gestion de ces cryptomonnaies lors des procédures collectives reste un terrain mouvant encore peu exploré, où les praticiens du droit doivent s’adapter en permanence aux évolutions technologiques et réglementaires.
Pour les entreprises détenant des cryptomonnaies, il est recommandé de structurer dès le départ la gestion de ces actifs, en s’assurant notamment de :
- Documenter précisément la détention et l’accès aux wallets
- Prévoir une stratégie de gestion et de conversion en cas de difficultés
- Faire appel à des experts comptables et juridiques spécialisés dans les actifs numériques
Intégrer les cryptomonnaies dans le droit des entreprises en difficulté
Les cryptomonnaies introduisent une nouvelle dynamique dans la gestion des entreprises en difficulté. Alors que le cadre législatif évolue, les administrateurs judiciaires, les créanciers et les entreprises doivent adapter leurs stratégies pour mieux prendre en compte ces actifs. La clé réside dans l’anticipation : une bonne documentation et une gestion proactive des cryptomonnaies peuvent éviter bien des complications en cas de redressement judiciaire.
Sources et références
- Code monétaire et financier (Article L54-10-1) – Légifrance
- Règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) – Commission européenne
- Rapport AMF 2023 sur les actifs numériques en France – AMF
- Étude de Chainalysis 2024 sur l’adoption des cryptomonnaies – Chainalysis
- Jurisprudence en matière de liquidation d’actifs numériques en France et en Europe – Études de cas disponibles sur Dalloz et LexisNexis